Lou-Andréa Lassalle-Villaroya
exposition personelle
5un7, Bordeaux
Maman Maniériste III
2014
600 X 400 X 165 cm
bois, carton, vynil, leds et eau
Maman Maniériste III
Ou pour une meilleure compréhension des projets architecturaux pour Ouistitis en zone inondable.
Jonché sur une canopée de tasseaux dont le nombre n’a d’égal que sa précarité, la performance de cet édifice en équilibre à l’altitude de 105 cm au-dessus du sol en béton armé de la galerie, n’est pas sans rappeler l’imagerie de certaines sagas bien connues de la littérature heroic fantasy.
Les façades néo-gothiques blanches contrastent avec les profondeurs lugubres des bassins à la française dont elles émergent avec aplomb.
Ces eaux noires, dont notre imagination fait grouiller les âmes d’anciens micro-citoyens s’éclairent çà et là grâce à des montages électroluminescents aussi fragiles que convulsifs.
Tout est cohérent dans la tête de cette génitrice maniériste, la nature est orthonormée, l’architecture n’est plus que le vestige ou projet d’un style déchu. Le bon vieux souvenir réconfortant d’un jouet gigantesque devient un purgatoire, un voyage introspectif sans fin : les limbes.
Peut-être ne faut-il pas se laisser gagner par la mélancolie en imaginant cette installation comme une fin en soi mais comme la partie n°3 de ce grand projet qu’est l’œuvre protéiforme et insulaire de Lou-Andréa Lassalle. Cette œuvre qu’elle n’a de cesse d’augmenter, de compléter par des objets performatifs monumentaux ou d’autres plus contemplatifs à observer au microscope à balayage.
On ne peut pas toujours chercher à se réfugier dans le cartésianisme des Lumières, organiser un univers qui déborde requière un débordement des organisations.
MAMAN MANIÉRISTE III est une structure vivante, pensante, croissante et dégénérescente. C’est un embryon déjà vieux flottant dans son jus et dont les racines se développent telle une mangrove dans tous les substrats de la culture."
Marc-Henry Garcia
Maman Maniériste III
" Notre village concentrait le monde, embrassait le domaine pour s'y fondre. Il avait l'orgueil des paysages contrôlés et des utopies qui jouissent d'être de ce futur qui n'existera jamais. Dans ces espaces immunitaires, dans nos chaudes cellules de cultures, nous allions agir ensemble et partager nos limites, nos pudeurs, les musicalités de nos corps et de nos réveils.
L'homme social se socialisait dans un bloc socialisant et nous dormions ensemble. Un couloir, puis un autre encerclé nos activités, le temps se répétait et nos vies se fondaient dans cette grande construction. Une architecture s'était greffée à une autre, c'était superposé à ces jardins d'eau noire et à leurs allées perpendiculaires. Elles avaient un centre autour duquel nous respirions. Elles étaient les directions qui traversaient les tangentes à notre cercle.
Cette marche avait-elle un sens ? Nous y croyions. Nous pensions que dans ces lenteurs temporelles nous ne serions plus jamais seuls. Alors que ce temps suivait sa norme, il s'était modifié pour nous. Et tous nos gestes et toutes nos pensées et toutes nos mémoires s'endormaient dans la chaleur des machines, dans le brouhaha des claquements de tous nos os. L'homme de la nuit, au travers de sa fenêtre, penché sur le réveil du rêve, étudiait le paysage. Il entendait des dames soulever le métal, jouer avec les moteurs. L'huile coulait et se perdait et elles étaient apparues toutes comme elles étaient, elles, les petites morts, les seules. Il aurait fallu les regarder, ces ombres d'ombres, collantes comme un désordre trop bruyant dont on ne se débarrasse que très peu. Peut-être que notre nulle part était le présent.
Nous n'avions pas de marche dirigée, c'était des assemblages de petites choses minutieuses, mais rien ne nous appartenait. Ces jardins nous faisaient penser aux cendres des derniers châteaux, du tout dernier temps des tout derniers voyage. Nous avancions dans ces décors remplis de désert. Nos courses et nos pauvres buts devenaient l'eau vitale, l'énergie que nous voulions conserver et qui se perdait dans les secondes de ce temps lâché. Comme dans ces rêves où nous étions entrés lassés et exhaussés, nous cherchions à conserver notre vivacité et comme ces moines guerriers et totaux, nous aménagions notre longévité.
Nous pensions souvent à ces hommes de méditations qui stoppaient le cour de leur temps et travaillaient à la douleur physique dans le presque rien du mouvement. Nous aussi, nous serions spirituels, nous aussi, nous serions des évadés. Nous voulions que nos actions ne s'épuisent pas, que nos objets s'agitent et se changent.
Nous étions en train de nous engager dans une relation intense avec la nature. Et nous n'étions plus romantiques, et nous n'allions pas mourir sur le bord d'une chaussée. Dans un magma de signes, plus ornementaux des uns aux autres, nous choisissions la simplicité. Il n'y avait pas d'attente à notre propre changement et nous restions là, las, comme ces enfants adolescents, à croire et vouloir et nous nous privions de savoir. Notre temps était précieux, à chaque pas nous frôlions la minute suivante, sur nos lits tombaient les fleurs des instants fanés. La minute de phrase était derrière nous, notre temps était précieux ou peut-être qu'il était comme un minable au bout d'une grande blessure et c'est dans une grande précision que nous marchions à vif.
Nos chairs sculptées autour des assemblages, nous montions aux balcons nous figer, méditatifs, en roches amoncelées, par couches, strates puis étages. Nos actions se berçaient de lourds mots et de longs fardeaux qui sonnaient plus joliment aux oreilles, et les vieux nous disaient que nous devrions rester muet. Nous ne nous comprenions que très peu, comme si nous les avions perdus, ils se rassuraient dans l'ignorance, comme si on ne savait plus y croire.
Anaïs Garcia
Maman Maniériste I, 2014
600 X 400 X 165 cm, bois, carton, vynil, leds et eau
exposition personnelle, Galerie 5un7, Bordeaux